Québec (province). Scandales. Affaire Roncarelli
Un article de la Mémoire du Québec (2022).
- Éphémérides -
Voir Témoins de Jéhovah (religion)
1933 (3 octobre) 158 personnes débarquent à Québec et distribuent en une heure et trente minutes 45 000 brochures de 3 titres différents. (27 octobre) La ville de Québec adopte un règlement en vertu duquel la distribution d'imprimés est illégale à moins d'avoir été autorisée par le chef de police.
1937 Le Parlement de Québec adopte la Loi de la propagande communiste au Québec (Loi du cadenas) sur proposition de Maurice Le Noblet Duplessis, premier ministre et procureur général de la province ; en vertu de cette loi, nul ne peut utiliser sa maison pour propager le communisme ou le bolchévisme de quelque façon que ce soit ; de plus, la police peut sans mandat saisir et détruire toute publication qu'elle considère suspecte au regard de cette loi.
1945 (9 septembre) Plus de 1 000 personnes s'attaquent aux participants d'une assemblée des Témoins de Jéhovah à Châteauguay. (16 septembre) 17 Témoins sont arrêtés à Châteauguay pour avoir distribué des circulaires sans permis ; plus 1 500 personnes s'en prennent à des Témoins et en particulier à Frank Roncarelli, un restaurateur de Montréal et Témoin lui-même. Des Témoins qui posent des affiches à Lachine sont pris à partie par des jeunes et subissent un siège de 5 heures chez un de leurs membres, un bijoutier ; une assemblée est annulée lorsqu'une foule menace le propriétaire de l'établissement où elle devait avoir lieu. (7 novembre) Les Témoins publient Sodom, Gomorrah and Catholic Quebec dans leur publication Consolation dans lequel ils dénoncent les événements de Châteauguay et de Lachine. Ils distribuent un tract intitulé La haine ardente du Québec. (21 novembre) Le premier ministre, Maurice Le Noblet Duplessis, déclare la guerre à tous les Témoins de Jéhovah à cause du tract La Haine ardente du Québec qu'il déclare séditieux et promet d'arrêter tous ceux qui l'ont distribué.
1946 (Septembre) Il y a plus de 800 causes intentées contre les Témoins au Québec. Entre 1944 et 1946, Frank Roncarelli a servi de caution pour la libération de 393 Témoins accusés d'infraction aux règlements de la ville de Montréal ; la valeur totale des cautions soumises par Roncarelli s'est élevée à 83 000 $. (12 novembre) La Cour décide de ne plus accepter de cautionnement de la part de Roncarelli. (15 novembre) Les Témoins commencent la distribution du tract intitulé La Haine ardente du Québec. (21 novembre) Le premier ministre Maurice Le Noblet Duplessis sert un avis formel aux Témoins et à Frank Roncarelli d'arrêter la diffusion de ce qu'il considére comme de la propagande séditieuse. (25 novembre) Descente de la police dans une Maison du Royaume des Témoins de Sherbrooke ; la maison appartient à Frank Roncarelli. (30 novembre) Mgr John Dixon, évêque anglican de Montréal publie une lettre ouverte à Maurice Le Noblet Duplessis pour lui rappeler que «dans le domaine de l'application de la loi et de l'ordre, il ne devrait pas y avoir même le soupçon d'atteinte aux libertés civiles et religieuses des individus». (Décembre) Le Témoin de Jéhovah, Aimé Boucher est arrêté à Saint-Joseph-de-Beauce et poursuivi pour libelle séditieux pour avoir distribué la publication La Haine ardente du Québec. (4 décembre) Sous prétexte que l'argent gagné par Roncarelli dans son restaurant possesseur d'un permis de vente d'alcool sert à financer la «sédition», le premier ministre ordonne à la Commission des liqueurs de la province de Québec de révoquer son permis et de saisir toutes les bouteilles de boissons alcoolique dans son restaurant du 1429 de la rue Crescent à Montréal. (20 décembre) Les Comités d'action catholiques de Québec et Montréal félicitent Maurice Le Noblet Duplessis pour les mesures qu'il a prises à l'encontre des Témoins. (26 décembre) L'Assemblée des évêques de la province de Québec émet un communiqué dans lequelle elle dénonce les activités des Témoins de Jéhovah.
1947 (Janvier) Les Témoins distribuent de nuit un nouveau tract intitulé Québec, vous avez manqué à votre peuple. (28 mars) Sanction de deux lois proposées par le Gouvernement de Maurice Le Noblet Duplessis qui amendent la Loi des cités et villes et le Code municipal permettant aux municipalités de mieux contrôler sur leur territoire la distribution de matériel imprimé et imposant des peines plus sévères pouvant aller jusqu'à trois mois de prison et 1 000 $ d'amende. (Octobre) Roncarelli ne faisant plus de revenus suffisants, vend son restaurant de la rue Crescent. (Novembre) Aimé Boucher est reconnu coupable de libelle séditieux par un jury et condamné à un mois de prison. (Juin) Roncarelli intente une action en dommage de 118 741 $ contre Maurice Le Noblet Duplessis personnellement.
1947 (Au cours de l'année) 1 600 accusations ont été déposées devant les tribunaux contre les Témoins pour infractions à des règlements municipaux et particulièrement en vertu d'un règlement adopté en 1933 par la ville de Québec.
1948 (Novembre) Damase Daviau demande une injonction à la Cour supérieure pour empêcher la ville de Québec d'interférer avec les activités des Témoins.
1949 (8 février) La Cour du banc du banc du roi maintient le verdict de culpabilité de libelle séditieux rendu en novembre 1947. (9 février) Les Témoins présentent une pétition signée par 625 510 noms dont 70 000 sont québécois demandant une charte garantissant la liberté religieuse. Le premier ministre du Canada fait adopter une loi qui permet à la Cour suprême d'examiner la validité des lois adoptées par les provinces. (5 décembre) La Cour suprême du Canada ordonne la tenue d'un nouveau procès pour Aimé Boucher condamné en 1947 pour libelle séditieux.
1950 (10 mai-17 mai) Audition de l'action en dommage intentée par Frank Roncarelli contre Maurice Le Noblet Duplessis ; Roncarelli est représenté par Francis Reginald Scott et Albert-Louis Stein et le juge au dossier est Gordon Cecil MacKinnon. (18 septembre) Le juge Léon Casgrain de la Cour supérieure déclare valide le règlement adopté en 1933 par la ville de Québec et qui défend la distribution de publications sans la permission du chef de police. (27 septembre) Laurier Saumur, qui avait été arrêté et accusé 103 fois, reprend l'action abandonnée par Damase Daviau. (18 décembre) La Cour suprême du Canada dans un jugement partagé (5 contre 4) décide que le tract La Haine ardente du Québec ne constitue pas un libelle séditieux parce qu'on n'y incite pas à la violence et à la résistance ; en conséquence, elle libère Aimé Boucher condamné en 1947 à un mois de prison pour avoir distribué ce tract.
1951 (2 mai) Le juge Gordon Cecil MacKinnon accueille l'action en dommage de Roncarelli, et condamne Maurice Le Noblet Duplessis à lui payer 8 123,53 $ en compensation. (14 mai) Maurice Le Noblet Duplessis interjette appel de sa condamnation et Roncarelli en contre-appel conteste le montant qui lui a été alloué.
1952 La Cour du banc du roi maintient la décision prise par le juge Léon Casgrain en 1950 sur la validité du règlement de la ville de Québec ; Laurier Saumur interjette appel de cette décision devant la Cour suprême du Canada.
1953 (Mai) Le cardinal Paul-Émile Léger encourage les catholiques de son diocèse à combattre les Témoins. (6 octobre) La Cour suprême du Canada maintient le règlement de la ville de Québec, mais lui enlève toute son efficacité contre la propagande religieuse ; 700 causes sont alors abandonnées dont 500 à Montréal et 200 à Québec.
1954 (12 janvier) Afin de contourner le jugement de la Cour suprême, Maurice Le Noblet Duplessis dépose une loi modifiant la Loi de la liberté religieuse et du bon ordre dans les églises ; intitulé Bill 38, elle est adoptée à l'unanimité ; elle fait des délits de la diffusion verbale, écrite, radiophonique ou télévisée de propos à «caractère outrageant ou injurieux pour les membres ou adhérents d'une profession religieuse». (28 janvier) Le Bill 38 reçoit la sanction du lieutenant-gouverneur et entre en vigueur sur le champ. (29 janvier) L'avocat des Témoins, Glen How dépose une demande d'annulation du Bill 38 et une injonction pour en empêcher l'entrée en vigueur. (Novembre) Audition de la cause Duplessis vs Roncarelli par la Cour d'appel du Québec.
1956 (12 avril) La Cour d'appel du Québec (les juges Bissonnette, Pratte, Casey et Martineau contre le juge Rinfret) accueillent en majorité l'appel de Maurice Le Noblet Duplessis et rejettent à l'unanimité la demande de Roncarelli. (27 avril) Roncarelli annonce qu'il s'adressera à la Cour suprême du Canada pour faire casser le jugement de la Cour d'appel du Québec.
1957 (18 juin) La Cour supérieure procède à l'audition de la demande d'annulation du Bill 38 ; Maurice Le Noblet Duplessis est interrogé pendant 3 heures sur les intentions qu'il avait en proposant le Bill 38.
1958 (2-6 juin) Audition de la cause Roncarelli vs Duplessis par la Cour suprême.
1959 (27 janvier) La Cour suprême en majorité (6 juges contre 3) maintient l'action de Roncarelli et augmente ses dommages de 25 000 $ ; ils décrètent que Duplessis a commis un abus de pouvoir en ordonnant à la Commission des liqueurs de retirer le permis de Roncarelli et que le pouvoir de la Commission ne pouvait être exercé que pour des infractions à la Loi des liqueurs et non pour d'autres causes. (11 mars) Duplessis annonce qu'il n'en appellera pas au Conseil privé de Londres de la décision de la Cour suprême du Canada; le Parti de l'Union nationale dirigé par Maurice Le Noblet Duplessis émet un chèque de 46 132 $ en faveur de Roncarelli ; ce chèque ne porte pas la signature de Duplessis. (7 septembre) Décès de Maurice Le Noblet Duplessis à Schefferville.
1960 (10 août) La loi instituant la Charte canadienne des droits est sanctionnée par le Gouverneur général ; cette charte couvre les matières réservées à l'autorité fédérale par la Constitution du Canada. (23 juillet) Le juge Louis-Philippe Lizotte de la Cour supérieure du Québec déclare valide le Bill 38.
1962 (5 novembre) La Cour du banc de la reine rejette l'appel des Témoins contre la décision du juge Lizotte parce que selon elle, ils n'ont pas d'intérêt dans ce litige, n'ayant pas encore été poursuivis en vertu de cette loi.
1964 (28 janvier) La Cour suprême confirme le jugement rendu par la Cour du banc de la reine le 5 novembre 1962 ; selon le plus haut tribunal canadien, l'action dit être conséquente à des dommages, car les actions déclaratoires n'existent pratiquement pas au Québec. Même s'il était valide, aucun Témoin de Jéhovah ne sera à aucun moment poursuivi en vertu du Bill 38.
- Bibliographie -
Freedom of Religion in the Province of Quebec with Particular Reference to the Jews, Jehovah's Witnesses and Church-State Relations, 1930-1960 (thèse de doctorat, William David Kenneth Kernaghan, Duke University, Durham, North Carolina, USA, 1966),
Le Chef. Une biographie politique de Maurice Duplessis (Leslie Roberts, 1963),
Maurice Duplessis (Conrad Black, 1976),
Maurice Duplessis et son temps (Robert Rumilly, 1973),
L'Affaire Roncarelli - Duplessis contre les Témoins de Jéhovah (Michel Sarra-Bournet (Institut québécois de recherche sur la culture, 1986).